Interview croisée de Jean-Baptiste Djebbari et de Louis Nègre sur le free floating

Le 17 février 2021, le GART a signé une charte définissant le cadre de régulation des services de mobilités en libre-service sans station d’attache, aussi appelés free floating. À l’occasion de cette signature, Jean-Baptiste Djebbari – ministre chargé des Transports – et Louis Nègre – président du GART – s’expriment sur les enjeux de gouvernance et sur le déploiement de ces services de mobilités partagées au sein des collectivités.

Entre les services de free-floating et les transports publics, quelle est la complémentarité ?

Jean-Baptiste Djebbari : Ce qui caractérise les services de free-floating, c’est la liberté. Les usagers cherchent aujourd’hui à réduire les contraintes de temps et d’espace pour optimiser leurs déplacements. En cela, les mobilités partagées contribuent à la création d’une offre service de transports au public sans nécessairement être un service public de transport stricto sensu.
L’engouement pour ces nouvelles mobilités est certain. Plus de 25 000 véhicules en free-floating sont actuellement déployés sur le territoire français. Cela représente plus de 2 millions de trajets effectués si l’on se réfère à l’unique mois de septembre 2020.
En effet, ces nouvelles mobilités répondent à des modalités d’usages et des pratiques économiques qui les différencient des réseaux de bus, tramways et vélos avec stations. Pour les collectivités, c’est aussi l’occasion d’expérimenter ces nouvelles solutions, pendant des durées modulables et sur des parties choisies de leur territoire, en lien avec leur offre de transport en place.

Louis Nègre : Le free-floating, c’est, tout d’abord une promesse, celle de la liberté de mouvement en ville grâce à des modes de déplacements individuels innovants. Mais, mal maîtrisé, le développement de ces services est rapidement devenu, au début, une contrainte pour les autres usagers de la voirie et a créé des nuisances.
C’est la raison pour laquelle, après un développement très rapide dans les métropoles, les services de vélos ou de trottinettes en placement libre ont perdu de leur attractivité et ont rapidement décru. En tant que relais naturel des collectivités locales dans le domaine de la mobilité, le GART a informé le Ministère de ces nombreux dysfonctionnements. En conséquence, la loi d’orientation des mobilités (LOM) apporte la réponse souhaitée par les collectivités en donnant un cadre de développement pérenne et serein à ces nouvelles mobilités en organisant la complémentarité modale avec les transports publics mais aussi en garantissant une bonne qualité de service à l’utilisateur.

Les services de free-floating reposent sur un nouveau genre de partenariat public-privé. La LOM marque-t-elle le début d’une nouvelle ère pour la gouvernance de la mobilité durable dans les territoires ?

J-B.D : L’esprit de la LOM est simple. L’idée est d’offrir un panel d’outils garantissant un usage approprié de l’espace public tout en suscitant une réflexion constructive autour de l’intégration et la pérennisation des services de free-floating dans l’offre de transports. La LOM engage le siècle à venir sur des mobilités du quotidien tournées vers l’innovation, la complémentarité des offres et l’engagement des usagers.
Dans la continuité des dispositions de la LOM, je souhaite à travers cette charte que nous apportions des orientations concrètes face au changement des usages. En parallèle de la signature de la charte, j’ai demandé au CGEDD de me rendre un rapport d’ici l’été sur les nouvelles formes de mobilité, pour approfondir la LOM et engager ce processus d’adaptation continue aux innovations qui voient le jour. Je souhaite en cela impulser une nouvelle dynamique et invite l’ensemble des élus locaux à se saisir de cette opportunité de développement de ces nouvelles mobilités. Il s’agit en l’espèce que l’action du gouvernement permette à toutes les parties prenantes d’agir en confiance mutuelle pour inventer les mobilités les plus adaptées à leurs territoires et à leurs usagers.

L.N : Jusqu’à la LOM, l’organisation de la mobilité sur le ressort territorial des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) reposait sur l’intervention directe de la collectivité ou la délégation de service public. C’est un modèle qui a fait ses preuves dans notre pays mais aussi à l’international où il permet à nos opérateurs de remporter de nombreux marchés sur les cinq continents. Pour les services de free-floating, la LOM s’inspire, à son tour, du principe des licences qui a cours dans d’autres pays européens (notamment la Grande-Bretagne).
À partir de l’engagement de respect d’un cahier des charges, décidé par la collectivité détenant le pouvoir de police de circulation et de stationnement, comme l’avait demandé le GART, l’opérateur doit désormais obtenir une autorisation d’occupation du domaine public pour une durée limitée. C’est un nouvel outil de gouvernance des mobilités qui permet une grande souplesse et peut être rapidement mis en œuvre. Il s’agit donc d’un progrès que nous appelions de nos vœux.

Comment la charte du free-floating va-t-elle aider les collectivités à développer ces services sur leurs territoires ?

J-B.D : Tout d’abord, je veux rappeler que cette charte a été signée par l’État, les principales associations d’élus et l’ensemble des opérateurs dans le but de se donner un horizon commun. Ce document se veut pédagogique et incite au dialogue entre AOM et opérateurs.
La charte met en avant des outils opérationnels à l’usage des signataires. Il s’agit par exemple de promouvoir la transmission d’informations de l’opérateur à la collectivité ou les mesures permettant le retrait des véhicules hors d’usage. La charte explique également les différentes voies de contractualisation possibles entre les AOM et les opérateurs selon que le service soit opéré par un acteur privé ou organisé via un service public de transport. En somme, cette charte vise à faciliter la prise en main du free-floating par les collectivités.
Par ailleurs, la charte rappelle que le succès de ces offres constitue un signal fort dans un contexte où les mobilités sont progressivement intégrées aux politiques publiques de gestion des pollutions atmosphériques et sonores.

L.N : Comme nous venons de le voir, avec le free-floating, tout est nouveau : le mode d’utilisation, le type de matériel mis à la disposition du public et le mode de gouvernance. Par ailleurs, l’article 41 de la LOM permet à l’autorité qui accorde le droit d’occupation du domaine public d’imposer le partage des données d’utilisation du service ce qui va permettre de l’incorporer au sein du dispositif de mobilité servicielle (MaaS) ce qui sera très favorable au développement de ces services partout où il y aura un MaaS.
La charte du free-floating qu’avec d’autres associations d’élus et plusieurs collectivités nous avons signé la semaine dernière, est un véritable recueil des bonnes pratiques en matière de définition des cahiers des charges et du périmètre des informations à échanger entre les opérateurs et les collectivités locales. Cela va donc permettre d’aller plus vite pour la mise en place de ces services dont nous espérons qu’elle se développera dans nombre d’agglomérations et pas seulement dans quelques métropoles.

La LOM identifie que ce seront les maires, en tant que détenteurs du pouvoir de police du stationnement, qui devront gérer les autorisations de déploiement de ces services. Comment, dans ce contexte, articuler les décisions prises au niveau communal avec les politiques de mobilité des AOM intercommunales et régionales ?

J-B.D : Le premier principe est le suivant. En agglomération et sauf exception sur les voies directement gérées par le préfet ou en cas de transfert à l’intercommunalité, c’est au maire de délivrer un titre d’occupation du domaine public aux opérateurs de free floating. Ce titre est délivré après avis simple de l’AOM. Par convention, le maire peut déléguer cette compétence à l’AOM.
La LOM est ensuite venue préciser le rôle de l’AOM, qui est désormais responsable de la politique de mobilité locale tous modes confondus (transports en commun, modes actifs, et partagés dont le free floating).
La LOM prévoit également que les AOM de plus de 100 000 habitants définissent un plan de mobilité (en remplacement du plan de déplacement urbain – PDU). Ce plan qui se veut plus large que le PDU conduit l’AOM à se positionner sur les enjeux de stationnement ou de partage de la voirie. Les décisions prises par l’AOM dans le cadre d’un plan de mobilités s’imposent ainsi au pouvoir de police.

L.N : Le législateur a souhaité que les autorisations d’occupation du domaine public soient délivrées par l’autorité détenant le pouvoir de police de circulation et de stationnement. Dans la plupart des cas, il s’agira du Maire. C’est une bonne chose car le Maire est un élu très identifiable et proche de la population. Il a donc la légitimité pour assurer l’usage et le partage harmonieux de la voirie.
Mais il n’en reste pas moins que le dialogue doit être fluide entre le Maire et l’AOM de façon à ce que les services de free-floating soient développés dans la meilleure complémentarité possible avec les transports collectifs urbains et, aussi, avec les transports organisés par les Régions. De même, un dialogue doit exister avec les Départements qui ont encore de larges responsabilités en matière de voirie.
C’est pour toutes ces raisons que la charte de free-floating est importante car elle est le résultat d’un travail de concertation, long et approfondi, entre toutes les parties prenantes. Elle constitue donc le catalogue des pratiques qui font consensus et qui seront le meilleur gage de réussite pour ces nouvelles mobilités dont le législateur a souhaité accompagner et encadrer le développement.

22 février 2021 – Crédits : ecologie.gouv.fr / A.Detienne